LCA

LCA : Rémifentanil vs curare dans l'induction séquence rapide

Rémi vs curare et induction séquence rapide

Rémifentanil vs curare dans l'induction séquence rapide

Commentaire de l'article : Effect of Remifentanil vs Neuromuscular Blockers During Rapid Sequence Intubation on Successful Intubation Without Major Complications Among Patients at Risk of Aspiration. Grillot et al. JAMA 2023.

Publié le 20 novembre 2023 - Vincent COSME (DESAR-CHU Rennes)

Titre de l'étude

Effet du rémifentanil comparé aux curares sur le succès d'intubation sans complications majeures lors d'une induction à séquence rapide chez les patients à risque d'inhalation.

Question évaluée

Le rémifentanil associé à un hypnotique peut-il être utilisé pour l'intubation orotrachéale lors d'une induction séquence rapide ?

Contexte de l'étude dans la littérature médicale

Une étude observationnelle prospective étudiant les pratiques d'intubation1 avait relevé des pratiques différentes lors d'inductions à séquence rapide avec notamment une non-utilisation des curares, potentiellement expliquée par leurs effets indésirables2-5. Dans la littérature, plusieurs études6-11 ont tenté de démontrer que l'intubation sans curare est possible (hors induction séquence rapide) avec des conditions d'intubation correcte. Cependant aucune étude de ce type n'avait encore testé l'intubation sans curare dans le cadre d'inductions à séquence rapide.

Type d'étude

Il s'agit d'un essai clinique de non-infériorité (préspécifiée à -7%) randomisé, avec deux groupes parallèles en ouvert testant l'hypothèse suivante : l'utilisation combinée de rémifentanil/hypnotiques n'est pas inférieure à l'association curares/hypnotiques pour réussir une intubation trachéale à la première tentative sans complication majeure chez les patients à risque d'inhalation au bloc opératoire.

Randomisation : centralisée, informatisée avec un ratio 1:1 (utilisation de blocs de 4 ou 6 patients), stratifiée sur le matériel prévu pour la première laryngoscopie (laryngoscope ou videolaryngoscope) et sur la présence ou non d'une occlusion digestive.

Population étudiée

Étude réalisée dans 15 centres hospitaliers ou cliniques françaises d'octobre 2019 à avril 2021.
1150 patients ont été randomisés : 575 patients dans le groupe rémifentanil et 575 dans le groupe curares.
Patients âgés de 18 à 80 ans nécessitant une intubation orotrachéale en induction séquence rapide dans le contexte d'une anesthésie générale au bloc opératoire et répondant à l'un des critères suivants :

  • Période de jeûne préopératoire de moins de 6 heures,
  • Occlusion digestive,
  • Épisode de vomissement < 12h avant l'intervention,
  • Traumatisme orthopédique < 12h,
  • RGO sévère symptomatique,
  • Hernie hiatale,
  • Gastroparésie,
  • Dysautonomie,
  • ATCD de chirurgie gastro-œsophagienne avec dysfontion sphinctérienne.

Critères de non inclusion : femme enceinte, contre-indication à la succinylcholine et/ou au rocuronium, difficulté d'intubation prévisible, hypoxémie préopératoire (SaO2 < 95%), choc hypovolémique (PAM<65 mmHg), arrêt cardiaque.

Méthode de l'étude

  • Description du protocole

    Les deux groupes ont été préoxygénés dans les mêmes conditions. La séquence d'induction a été initiée lorsque la FeO2 > 80%.

    Dans le groupe rémifentanil, le rémifentanil (3 à 4 μg/kg) était injecté par voie intraveineuse immédiatement après l'administration d'un hypnotique, et l'intubation trachéale était réalisée 30 à 60 secondes après l'administration du rémifentanil sans injection de bloqueurs neuromusculaires.

    Pour les patients affectés au groupe des bloqueurs neuromusculaires, un agent paralytique à action rapide (1 mg/kg de succinylcholine ou 1 mg/kg de rocuronium) a été injecté par voie intraveineuse immédiatement après l'administration d'un hypnotique. L'intubation trachéale a été initiée 30 à 60 secondes après l'administration du bloqueur neuromusculaire sans injection de dérivés morphiniques.

    Le critère de jugement principal était mesuré 10min après l'induction.

  • Critère de jugement principal (CJP)

    IOT à la première tentative sans complication majeure.

    Les complications majeures ont été enregistrées jusqu'à 10 minutes après l'induction de l'anesthésie et définies comme :

    • Inhalation (visualisation par un investigateur de particules liquides ou solides atteignant le larynx lors de la procédure d'intubation),
    • Désaturation en oxygène inférieure à 95%,
    • Instabilité hémodynamique majeure (PAM ≤ 50 mmHg ou ≥ 110 mmHg),
    • Arythmie cardiaque (nécessitant une intervention pharmacologique ou électrique, durant plus de 30 secondes, et non présente au moment de l'inscription à l'étude),
    • Arrêt cardio-respiratoire,
    • Réaction anaphylactique sévère (grade de gravité III-IV).

  • Critères de jugement secondaire (CJS)
    • Résultats enregistrés dans les 10min après l'induction :
      • Détails sur la préoxygénation du patient,
      • La position du patient,
      • La présence d'une sonde nasogastrique,
      • L'utilisation de l'échographie gastrique avant l'intubation,
      • Le score de difficulté d'intubation,
      • Score de Cormack, évalué lors d'une laryngoscopie directe,
      • Pourcentage du score d'ouverture glottique pendant la vidéo-laryngoscopie,
      • Les délais entre l'induction de l'anesthésie et la réussite de l'intubation trachéale (définis comme la sixième courbe de capnographie),
      • Taux d'utilisation de techniques alternatives d'intubation,
      • Fréquences de désaturation modérée ou sévère (80%-95% et <80%, respectivement),
      • Valeur minimale de saturation en oxygène de l'oxymétrie de pouls,
      • Taux de réaction hémodynamique sévère (définie comme une fréquence cardiaque <45/min ou >110/min ou une pression artérielle systolique <80 mmHg ou >160 mmHg),
      • Proportion de patients présentant une réaction anaphylactique non sévère (grade I-II),
      • Le taux de patients ayant une toux nécessitant une sédation augmentée.
    • Résultats enregistrés en salle de réveil :
      • Taux de nausées et de vomissements postopératoires,
      • Mal de gorge postopératoire immédiatement après l'extubation trachéale,
      • Pourcentage de patients souffrant de dyspnée laryngée/stridor,
      • Taux de patients nécessitant une ventilation mécanique post-extubation,
      • Taux d'échec de l'extubation,
      • Taux de désaturation postopératoire de 92 % ou moins, ou < 80 %.
    • Résultats enregistrés jusqu'à 7 jours :
      • Taux de traumatismes dentaires et trachéaux,
      • Taux de pneumonie postopératoire,
      • Taux de syndrome de détresse respiratoire aiguë,
      • Mortalité hospitalière.

Résultats essentiels

En analyse en intention de traiter, une intubation trachéale à la première tentative sans complications majeures est survenue chez 374 des 575 patients (66,1%) du groupe rémifentanil et 408 des 575 (71,6%) du groupe bloqueur neuromusculaire (différence intergroupe ajustée pour strates de randomisation et centre, -6,1% ; IC à 95%, -11,6% à 0,5% ; p=0,37 pour la non-infériorité), démontrant l'infériorité.

En analyse per protocole, 374 des 565 patients (66,2%) du groupe rémifentanil et 403 des 565 (71,3%) du groupe bloqueur neuromusculaire ont eu une intubation réussie sans complications majeures (différence ajustée, -5,7% ; 95% IC, -11,3% à -0,1% ; p=0,32 pour la non-infériorité).

Un événement indésirable d'instabilité hémodynamique a été enregistré chez 19 des 575 patients (3,3 %) avec le rémifentanil et 3 sur 575 (0,5 %) avec les bloqueurs neuromusculaires (différence ajustée, 2,8% ; IC à 95%, 1,2%-4,4%).

Commentaires

  • Points forts de l'étude
    • Randomisé, stratifié, blocs de taille variable.
    • Analyse per-protocole.
    • Investigateurs expérimentés.
    • Rémifentanil 4ug/kg + Propofol.
  • Points faibles de l'étude
    • Essai en ouvert (fasciculations).
    • Probable effet centre quant à l'utilisation du Rémifentanil.
    • Différence d'utilisation du « stylet » ou « bougie » entre les deux groupes.
    • Non extrapolable à l'obstétrique et la réanimation.
    • Probable mauvaise utilisation du Rémifentanil (temps d'action 1min30).

Conclusion

Chez les adultes à risque d'inhalation lors d'une intubation en séquence rapide au bloc opératoire, le rémifentanil ne répondait pas au critère de non-infériorité et était statistiquement inférieur aux bloqueurs neuromusculaires sur le taux de succès d'une intubation trachéale sans complications majeures, bien que l'intervalle de confiance large limite les conclusions sur la différence.

Bibliographie

  1. Russotto et al. Study Investigators. Intubation practices and adverse peri-intubation events in critically ill patients from 29 countries. JAMA 2021.
  2. Petitpain et al. French Network of Regional Pharmacovigilance Centres. Neuromuscular blocking agents induced anaphylaxis: results and trends of a French pharmacovigilance survey from 2000 to 2012. Allergy 2018.
  3. Kaufman et al. Prolonged neuromuscular paralysis following rapid-sequence intubation with succinylcholine. Ann Pharmacother 2011.
  4. Martyn et al. Succinylcholine-induced hyperkalemia in acquired pathologic states: etiologic factors and molecular mechanisms. Anesthesiology 2006.
  5. Kirmeier et al. Post-anaesthesia Pulmonary Complications After Use of Muscle Relaxants (POPULAR): a multicentre, prospective observational study. Lancet Respir Med 2019.
  6. Pang et al. Intubation without muscle relaxation for suspension laryngoscopy:a randomized, controlled study. Niger J Clin Pract 2014.
  7. Schlaich et al. Remifentanil and propofol without muscle relaxants or with different doses of rocuronium for tracheal intubation in outpatient anaesthesia. Acta Anaesthesiol Scand 2000.
  8. Stevens et al. Tracheal intubation using alfentanil and no muscle relaxant:is the choice of hypnotic important? Anesth Analg 1997.
  9. Mohammadreza et al. Tracheal intubation without muscle relaxants: a randomized study of remifentanil or alfentanil in combination with thiopental. Ann Saudi Med 2008.
  10. Cabrini et al. Tracheal intubation in critically ill patients: a comprehensive systematic review of randomized trials. Critical Care 2018.
  11. Grillot et al. Assessment of remifentanil for rapid sequence induction and intubation in patients at risk of pulmonary aspiration of gastric contents compared to rapid-onset paralytic agents: study protocol for a non-inferiority simple blind randomized controlled trial (the REMICRUSH study). Trials 2021.

Abstract visuel

Rémi vs curare et induction séquence rapide

Les dernières LCA RARRE :