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Réchauffement peropératoire à cible haute
Réchauffement peropératoire à cible haute
Commentaire de l'article : Aggressive intraoperative warming versus routine thermal management during non-cardiac surgery (PROTECT)1. Sessler et al. Lancet 2022.
Publié le 1er février 2023 - Brieuc BERTHELON (DESAR-CHU Rennes)
Titre de l'étude
Réchauffement peropératoire agressif comparé à une gestion thermique classique en chirurgie non cardiaque.
Question évaluée
L'utilisation de techniques intensives de réchauffement per-opératoire avec une cible haute (37°C) permet-elle de prévenir plus efficacement, comparativement à la gestion classique de l'hypothermie, les complications cardio-vasculaires post-opératoires majeures (ischémie myocardique, arrêt cardiaque et décès) ?
Contexte de l'étude dans la littérature médicale
La mortalité post-opératoire est de 2% en chirurgie non-ambulatoire2, principalement associée à des lésions myocardiques3.
L'hypothermie per-opératoire, fréquente si aucune stratégie de réchauffage n'est mise en place4, est probablement un facteur pouvant contribuer aux affections myocardiques post-opératoires, en provoquant une vasoconstriction, une stimulation sympathique, majorant le travail du muscle cardiaque5,6,7. Des essais randomisés de faible puissance ont montré une association entre l'hypothermie per-opératoire et complications cardio-vasculaires8,9.
D'autres études mettent en évidence qu'une hypothermie per-opératoire peut également être responsable d'une coagulopathie entrainant des saignements plus importants10 et des infections du site opératoire11,12.
L'approche conventionnelle de réchauffement des patients au bloc opératoire permet en moyenne une température corporelle d'environ 36°C13 et a montré son efficacité dans la prévention des complications post-opératoires14.
Aucune étude n'a été réalisée sur une stratégie plus agressive, avec une cible de température proche de la température corporelle moyenne habituelle, autour des 37°.
Type d'étude
Essai de supériorité, randomisé en groupes parallèles, multicentrique (12 centres en chine et 1 aux Etats-Unis).
Population étudiée
Les patients inclus devaient subir une chirurgie non-cardiaque sous anesthésie générale devant durer 2 à 6h, hospitalisés dans un des centres participant à l'étude, et répondant aux critères suivants :
- Plus de 45 ans,
- Au moins un facteur de risque cardiovasculaire (plus de 65 ans, antécédent vasculaire, insuffisance rénale, diabète, hypertension, tabac),
- 50% de la surface corporelle disponible pour réchauffement pendant la chirurgie.
Les critères d'exclusion étaient une coagulopathie, un état septique, un IMC>30, la dialyse chronique et un risque infectieux majeur au cours de la chirurgie.
Méthode de l'étude
- Description du protocole
Les patients étaient randomisés en 1:1 par blocs de taille variable, stratifiés par centre.
- Le groupe "gestion agressive de la température corporelle avec cible à 37°C" bénéficiait d'un réchauffement par couverture à air chaud pulsé de 30 minutes avant l'intervention et était systématiquement réchauffé pendant l'intervention par 2 couvertures à air chaud, avec une cible de température corporelle à 37°C. Tous les fluides perfusés étaient réchauffés à la température corporelle.
- Le groupe "gestion classique de la température corporelle avec cible à 35.5°C" ne bénéficiait pas de réchauffement avant l'intervention, et les couvertures chauffantes par air pulsé n'étaient utilisées qu'en cas de température corporelle inférieure à 35.5°C. Seules les perfusions sanguines étaient réchauffées.
Les cliniciens et investigateurs prenant en charge le patient au bloc opératoire connaissaient le groupe d'inclusion des patients. Les mesures des critères de jugement réalisées dans les suites (atteinte myocardique, infarctus, infections, etc.) étaient recueillies par des investigateurs ne connaissant pas le groupe d'inclusion ni la gestion opératoire de l'hypothermie.
Le protocole prévoit un dosage quotidien des troponines sanguines les 3 jours suivant l'intervention, tant que le patient restait hospitalisé, et en cas de symptôme (dyspnée, douleur).
L'analyse est en intention de traiter modifiée (inclus les patients randomisés recevant un traitement).
- Critère de jugement principal (CJP) composite
Survenue dans les 30 jours après l'intervention d'un évènement parmi :
- Atteinte myocardique à priori d'origine ischémique (élévation des troponines sans autre cause non ischémique évidente),
- Arrêt cardiaque,
- Décès.
- Critères de jugement secondaires (CJS)
- Infection du site opératoire ou profonde dans les 30 jours,
- Nécessité de transfusion per-opératoire (nombre de poches de CGR),
- Durée d'hospitalisation (censure à 30 jours),
- Taux de réadmission dans les 30 jours.
Résultats essentiels
- La période d'inclusion s'étendait de mars 2017 à mars 2021. 5056 patients ont été randomisés, 2527 dans le bras "réchauffement intensif" et 2529 dans le bras "gestion classique".
Respectivement 20 et 23 patients de chaque groupe ont été exclus car ne recevant aucune des techniques. Finalement, 2507 patients ont été inclus pour analyse en intention de traiter modifiée dans le groupe "intensif", et 2506 dans le groupe "gestion classique".
Les caractéristiques des patients des 2 groupes étaient similaires. - Les patients du bras "gestion intensive" avaient une température corporelle moyenne peropératoire de 36.8°C, et ceux du bras "gestion classique" de 35.8°C.
- Pour le critère de jugement principal, l'étude n'a pas montré de supériorité du réchauffement intensif sur la gestion classique de l'hypothermie : on compte 246 (9.9%) évènements dans le premier groupe, et 239 (9.6%) dans le second, ce qui correspond à un risque relatif d'apparition d'un des évènements à 1.04 [0.87-1.24], p=0.69. On ne retrouve aucune différence significative dans chacun des critères composant le critère de jugement composite. L'analyse en sous-groupe (selon l'âge, le sexe, le type de chirurgie) ne modifie pas le résultat.
- Aucune différence significative n'a été retrouvée entre les deux groupes concernant les critères de jugement secondaires.
Commentaires
- Points forts de l'étude
Premier essai multicentrique d'aussi grande ampleur concernant la gestion de l'hypothermie per-opératoire. Plus de 5000 patients analysés.
Peu de données manquantes.
Cibles de température corporelle per-opératoire prévues atteintes dans les deux groupes.
Critère de jugement cliniquement pertinent.
Critère de jugement relevé en aveugle du groupe de traitement.
- Points faibles de l'étude
Population peu représentative constituée à 99% de patients chinois, diminue la validité externe.
Part de subjectivité dans un des composant du critère de jugement principal : atteinte myocardique "sans autre cause évidente".
Critère de jugement principal possiblement trop restrictif (seulement les évènements cardiovasculaires, tandis que plusieurs études ont montré un impact sur les infections11,12, le saignement et le taux de transfusion10). Probable perte de puissance, mais ces éléments sont analysés en CJS et pas de différence non plus.
Différence de traitement faible entre les deux groupes : 35.5-36 vs 36,5-38° : seulement 1 degré de différence et de plus les deux groupes ont une température proche de la température physiologique.
Chirurgies de moins de 6h, majoritairement des laparoscopies, différence d'efficacité probablement majorée sur des chirurgies prolongées et ouvertes.
Population à risque cardio-vasculaire moyennement élevé, pour une étude concentrant ses critères de jugement sur les évènements cardiaques : principalement des facteurs de risque mineurs, peu de patients avec antécédents vasculaires sévères.
Conclusion
Cette étude n'a pas montré de supériorité d'une stratégie de contrôle intensif de la température corporelle per-opératoire pour prévenir les complications cardiaques post-opératoires.
Une prévention de l'hypothermie per-opératoire avec une cible plus permissive, autour des 35.5°C pourrait donc être suffisante.
Des études avec un critère de jugement plus large, incluant toutes les conséquences de l’hypothermie (cardio-vasculaire, infection, saignement) pourraient avoir plus de chance de mettre en évidence l'intérêt d'une telle pratique.
De même, des études s'intéressant à des chirurgies où le risque d'hypothermie est majoré, notamment des chirurgies longues, pourraient mettre en évidence la supériorité d'une gestion plus intensive de l'hypothermie.
Bibliographie
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