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L'intubation et l'extubation sont-elles des procédures génératrices d'aérosols ?

Intubation extubation et aérosolisation

Crédit Photo : Anaesthesia

L'intubation et l'extubation sont-elles des procédures génératrices d'aérosols ?

Commentaire de l'article : A quantitative evaluation of aerosol generation during tracheal intubation and extubation1. Brown et al. Anaesthesia 2020.

Publié le 7 Novembre 2020 - Ludovic Meuret (IADE - CHU Rennes)

Titre de l'étude

Une évaluation quantitative de la génération d'aérosols pendant l'intubation et l'extubation trachéales.

Question évaluée

Peut-on considérer l’intubation et l’extubation trachéales comme des procédures à risque d’aérosolisation ?

Contexte de l’étude dans la littérature médicale

Les sécrétions respiratoires ont une charge virale élevée en SARS-CoV-2 et sont considérées comme la principale source de transmission interhumaine2.

L'intubation et l'extubation trachéales, la ventilation manuelle au masque facial et l'aspiration des voies respiratoires sont considérées comme des procédures génératrices d'aérosols (c’est-à-dire ayant une plus grande probabilité de produire des aérosols que la toux3), principalement suite à des études4,5 portant sur la 1ère pandémie de SARS en 2003, qui ne concluaient pourtant pas avec un fort niveau de preuve.

Une étude s’intéressant au virus H1N16 n’a pas démontré que la transmission patient-soignant était corrélée à la quantité de virus présent dans l’air suite à telles procédures. Aucune étude n’a évalué quantitativement l’aérosolisation de particules lors de chacune de ces procédures dans les conditions de soins habituelles.

Type d'étude

Etude prospective et observationnelle de surveillance environnementale.

Population étudiée

Le monitorage de l’aérosolisation a été réalisé lors de l’intubation et l’extubation trachéales de patients opérés en urgence en orthopédie et neurochirurgie pendant une période de 3 semaines dans un hôpital anglais (North Bristol NHS Trust).

Méthode de l’étude

  • Description du protocole
  • L'équipe d'anesthésie a conservé sa pratique habituelle pendant la prise en charge des voies respiratoires. Les personnes chargées des mesures n'étaient pas impliquées dans les soins anesthésiques. Les mesures ont été effectuées dans des blocs opératoires à filtration élevée, flux laminaire et haut renouvellement d’air, grâce à un dispositif laser optique muni d'un échantillonneur (entonnoir) positionné à 50cm en face de la bouche du patient, distance à laquelle se positionne habituellement le praticien lors de ces procédures.

    Pour l’intubation les données analysées étaient recueillies durant les 5mn précédant le gonflage du ballonnet du tube trachéal, l’induction suivait une séquence classique : préoxygénation, administration IV des drogues destinées à l’anesthésie et au blocage neuromusculaire, ventilation manuelle au masque facial, laryngoscopie directe et intubation de la trachée suivie du gonflage du ballonnet.

    Pour la séquence d’extubation (allègement de l’anesthésie, reprise de la VS, aspiration oropharyngée, dégonflage du ballonnet, extubation, oxygénothérapie par masque), le monitorage commençait 3mn avant le dégonflage du ballonnet et s’achevait 2mn après.

    La référence choisie était l'aérosolisation produite dans le même contexte par une toux volontaire. Les comparaisons statistiques ont été faites avec des tests t non appariés avec un niveau de signification fixé à p <0,05.

  • Critère de jugement
  • Cette étude étant purement observationnelle, elle n’avait pas de critère de jugement prédéfini.

Résultats essentiels

Cette étude réalisée sur une période de 3 semaines dans un bloc opératoire a inclu 19 intubations et 14 extubations. Pour établir la référence, 38 toux volontaires (50 cm de distance) provenant d’un seul investigateur ont été analysées : chaque toux contenait une moyenne de 134 (77) particules sur les 12s de durée de la toux. Le pic de concentration en particules se situait après 2 secondes et contenait en moyenne 1310 (905) particules/l.
Lors de l’induction anesthésique et l’intubation, le nombre de particules détectées était en moyenne de 7(6) (n=14) sur une durée de 5 mn, la concentration moyenne de particules sur la période de 1,4 (1,4)/l.
Lors de l’extubation, le nombre de particules détectées était en moyenne de 21 (18)/l.
Le nombre de particules détectées lors une toux volontaire sur une durée de 5mn était de 732 (418)/l (n=38).
Les auteurs concluent que les manœuvres d’intubation trachéale (ventilation au masque comprise) et d’extubation (aspiration trachéale et toux éventuelles du patient comprises) produisent une aérosolisation significativement inférieure (respectivement 500 (p <0.0001) et 35 fois moins (p <0.0001)) à celle produite lors d’une toux volontaire.
L’étude montre également que l’aérosolisation pendant la séquence d'extubation est 5 fois plus importante en face de la bouche du patient que derrière sa tête.

Commentaires

  • Points forts de l’étude
  • Etude mesurant avec rigueur la taille et le nombre de particules aérosolisées lors des manœuvres d’intubation trachéale et d’extubation.

  • Points faibles de l’étude
    • Petit nombre d’observations (19 intubations et 14 extubations) et réalisées dans un contexte non généralisable à la réanimation ou aux services d’urgence.
    • Protocole d’anesthésie intraveineuse non standardisé (exceptée la curarisation).
    • La toux volontaire qui sert de référence est issue de mesures réalisées sur un seul individu (membre de l’équipe) qui a toussé 38 fois !
    • Le niveau d’expérience des personnes réalisant les intubations et les extubations n’est pas tracé.
    • L’aérosolisation est mesurée sur un angle limité (entonnoir).
    • Aucun des patients sur lesquels ont été réalisées les mesures n’était Covid+.

Conclusion

L'étude montre que les séquences d'intubation et d'extubation trachéales réalisées au bloc opératoire ne peuvent pas être considérées comme des procédures à risque d'aérosolisation, si l'on se réfère à la définition du Public Health England3.
Aucune recherche ne montrant que le risque de transmission d'un virus est corrélé à la concentration de particules aérosolisées, cette étude ne permet donc pas de quantifier le risque de transmission du patient à l'anesthésiste lors de ces procédures.
La méthodologie de mesure utilisée dans cette étude pourrait cependant aider à établir dans le futur des recommandations précises concernant les dispositifs de protection personnels utilisés lors des procédures d'intubation et d'extubation.
Ce travail de recherche nous incite enfin à penser qu'il faut probablement se placer derrière la tête du patient lors de l'extubation, pour diminuer le risque d'exposition aux particules aérosolisées.

Bibliographie

  1. Brown J, Gregson FKA, Shrimpton A, Cook TM, Bzdek BR, Reid JP, Pickering AE. A quantitative evaluation of aerosol generation during tracheal intubation and extubation. Anaesthesia 2020.
  2. Cook TM. Personal protective equipment during the coronavirus disease (COVID) 2019 pandemic – a narrative review. Anaesthesia 2020; 75: 920– 7.
  3. Public Health England. Infection control precautions to minimise transmission of acute respiratory tract infections in healthcare settings. 2016.
  4. Tran K, Cimon K, Severn M, Pessoa‐Silva CL, Conly J. Aerosol generating procedures and risk of transmission of acute respiratory infections to healthcare workers: a systematic review. PLoS One 2012; 7: e35797.
  5. Davies A, Thomson G, Walker J, Bennett A. A review of the risks and disease transmission associated with aerosol generating medical procedures. Journal of Infection Prevention 2009; 10: 122– 6.
  6. Thompson KA, Pappachan JV, Bennett AM, et al. Influenza aerosols in UK hospitals during the H1N1 (2009) pandemic – the risk of aerosol generation during medical procedures. PLoS One 2013; 8: e56278.

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